Une nouvelle contribution de Pierre Beaufils sur la textométrie. En attendant son séminaire du 16 Juin sur le même sujet...
Quand on a des textes, discours et enregistrements à
analyser, on pense naturellement à appliquer de méthodes dites qualitatives
d’analyse de contenu et codage, en se focalisant sur ce que veut dire le récit,
le signifiant et donc le sens du discours.
Point de vue
« de l’intérieur » ou du patient
Il me semble qu’on opère un point de vue « de
l’intérieur » un peu comme si le discours était la fenêtre des pensées et
émotions du locuteur. Et il sera en effet intéressant d’avoir une approche
centrée sur la subjectivité, le vécu, les sentiments du locuteur ou du patient,
s’il s’exprime au sujet de son vécu du point de vue de SA maladie, de SA
souffrance.
La compréhension passera aussi par la subjectivité du
receveur, l’empathie et les images qui se formeront, avec son expérience et sa
perception du moment.
Point de vue
« de l’extérieur » ou de l’expérimentateur
Mais il me semble qu’on peut avoir une autre approche que
j’appellerai de « l’extérieur », et la textométrie nous y
encourage :
En effet, en combinant de méthodes statistiques forcément
quantitatives de comptage, fréquence, de spécificité, cooccurence etc… on opère
un glissement pour analyser le discours de l’extérieur, un peu comme on analyse
un substrat biologique :
Les mots sont par analogie une production biologique une
« logorrhée », qui va avoir des attributs de qualité et quantitatifs
de débit, nombre de mots, richesse, absence ou présence de mot ou de syntaxe,
longueur de phrases….
L’acquisition et la perte
du langage
On peut ainsi s’intéresser à l’apparition et la disparition
du langage, avec ces deux approches : le vocabulaire, mais également la
syntaxe, et la richesse des idées peuvent faire l’objet de classement, mais
aussi de quantification :
Je pense à l’ étude « Nun study »
(étude portant sur des religieuses américaines, qui ont accepté qu’après leur
décès, soit réalisée des autopsies du cerveau, pour argumenter la survenue de
maladie d’Alzheimer (exemple issu du livre du Dr
Bernard Croisile « Alzheimer, que savoir ?, que craindre ?, qu’espérer ? »)
« Agées entre 19
et 37 ans à leur entrée dans les ordres, ces religieuses ont toutes rédigé à ce
moment un texte autobiographique dont l’analyse ultérieure a montré qu’une
pauvreté d’idées exprimées prédisait rétrospectivement la survenue d’un
Alzheimer : La faible performance rédactionnelle écrite était fortement
corrélée à l’atrophie cérébrale et à la densité des dégénérescence fibrillaires
observées lors de l’autopsie réalisée soixante ans plus tard. »
J’ajouterai que ces biographies ont également montré une
corrélation inverse entre les émotions positives et le risque de décès en fin
de vie. (Positive Emotions in Early Life and
Longevity: Findings from the Nun Study)
Voici un extrait de deux biographies de charge émotionnelle
différente :
The following sentences, from the beginning and
ending of two autobiographies, demonstrate differences in emotional content:
Sister 1
(low positive emotion): I was born on September 26, 1909, the eldest of seven
children, five girls and two boys ... . My candidate year was spent in the
Motherhouse, teaching Chemistry and Second Year Latin at Notre Dame Institute.
With God's grace, I intend to do my best for our Order, for the spread of
religion and for my personal sanctification.
Sister 2
(high positive emotion): God started my life off well by bestowing upon me a
grace of inestimable value... . The past year which I have spent as a candidate
studying at Notre Dame College has been a very happy one. Now I look forward
with eager joy to receiving the Holy Habit of Our Lady and to a life of union
with Love Divine.
De là à considérer toute prise de parole ou prise de son
comme une prise de sang, je suis bien conscient que la comparaison a des
limites, ne serait-ce parce-que les variables à mesurer ne sont pas uniquement
les 50 000 mots du vocabulaire, mais toutes les variétés de combinaisons
de mots qui formeront les idées, les expressions des pensées et des sentiments,
ce qui donne un champ de variables quasiment illimité.
Il semble plus accessible de s’intéresser à la construction
(la syntaxe) des phrases d’une part car
les variables se restreignent à dénombrer des formes (part of speech) en
quantité limitée, et à l’émergence du langage en début de vie d’autre party,
mais est-ce vraiment plus aisé ? à
suivre…